Les expressions que nous utilisons parlent de nous. Il y a une relation entre les mots abstraits et l'endroit du corps qu'ils désignent.
Les latins employaient déjà le mot "corpus" dans le sens de "personne" et l'ancien français disait "mes cors" pour "moi".
Le sens d'un mot ou d'une expression ne dépend pas seulement de sa place et de ses relations avec les autres mots. Il dépend tout autant de son histoire, qu'il est possible de retrouver à partir de traces à moitié effacées, de manifestations dont nous ne percevons plus que les échos.
En dessous de la surface des mots, tout en profondeur, vit dans une obscurité confuse des relations où s'entremêlent vie individuelle et vie sociale.
Longtemps la parole garda un pouvoir magique: dire, c'était faire.
Le coeur
J'en aurai le coeur net
J'ai mal au coeur
Ca me soulève le coeur
Ca me tourne le coeur
Ca me met le coeur à l'envers
Ca me réchauffe le coeur
Je prends tout trop à coeur
J'ai un coeur de pierre
Mon coeur n'y est plus
J'ai le coeur gros
Je ne le porte pas dans mon cœur
Comme beaucoup d'autres viscères, le coeur est resté longtemps mystérieux.
Pour les Grecs, le coeur était le lieu de la mémoire et de l'intelligence, d'où l'expression : "savoir par coeur", c'est-à-dire de mémoire.
Progressivement, du masculin, le coeur est passé au féminin, et la tête s'est trouvée renforcée dans sa place de "chef".
Les dents
Je me suis cassé les dents dans cette histoire
J'ai une dent contre lui
Je n'ai plus rien à me mettre sous la dent
Je n'en fais qu'une bouchée
Je suis armé jusqu'au dents
J'ai la dent dure
J'ai eu le mors aux dents
J'ai dû serrer les dents
Je mens comme un arracheur de dents
Perdre ses dents signifie dans le langage du rêve, perdre son énergie vitale et est également un symbole de castration et, plus généralement, de perte de la force agressive, de la virilité.
Avoir une dent contre quelqu'un signifie avoir de la rancune.
Etre sur les dents, c'est être dans la position du vaincu, face contre terre.
La gorge
J'ai la gorge serrée
J'ai une boule dans la gorge
J'ai un chat dans la gorge
Il m'a pris la gorge
J'ai eu le couteau sur la gorge
Il m'a fait rendre gorge
J'ai ri à gorge déployée
J'ai le gosier en pente
Cela m'est resté au travers de la gorge
Je n'ai pas pu avaler ça
Lorsque Adam avala le morceau de pomme interdit du jardin d'Eden, il vit que Eve, dans sa nudité, n'était pas comme lui : le morceau lui resta en travers de la gorge - d'où la pomme d'Adam.
Le nez
J'ai manqué de flair
Ca m'est passé sous le nez
Je ne peux plus le sentir
Je l'ai dans le nez
Il m'a mis le nez dessus
Ca se voyait comme le nez au milieu de la figure
Il m'a eu les doigts dans le nez
Ca me pendait au nez
Le nez n'est plus ce qu'il était ! Jusqu'au XIXe siècle, on l'aimait grand, majestueux, imposant.
Celui qui possédait un grand nez était, disait-on, supposé être particulièrement bien membré sexuellement.
La peau
Je suis mal dans ma peau
Je l'ai dans la peau
Je me mets toujours dans sa peau
Je risque sans cesse ma peau
Je ne vendrais pas chère ma peau
Je me traite toujours de peau de vache
J'aurai sa peau
Ca m'a coûté la peau des fesses
Je lui crêve la peau s'il continue
J'ai vendu la peau de l'ours trop vite
Nous naissons depuis, peut-être la chute du Paradis, avec une pellisse cutanée qui à la fois nous protège du monde extérieur et représente notre mode de communication avec autrui.
Curieusement, pour le latin, "pellis" est la peau d'animal, tandis que "cutis" est la peau d'homme.
Au XVIIe siècle, existait une profession très lucrative, le "piqueur public". Son travail consistait à piquer la peau d'une prétendue sorcière afin de vérifier si elle avait le diable dans la peau. Le témoignage du piqueur public était accepté sans discussion lors des procès.
Le sang
Je me fais du mauvais sang pour elle
Je me fais un sang d'encre avec ce procès
Dès que le vois, il me fait tourner les sangs
Cela m'a glacé le sang
Je me ronge les sangs dans cette affaire
J'ai eu un coup de sang quand j'ai appris ...
Ma mère me disait toujours que j'avais le sang chaud
Il m'a excité jusqu'au sang, c'est de sa faute
Si je le laissais faire, il me viderait jusqu'au sang
J'en ai sué sang et eau
Jusqu'au début du XIXe siècle, la saignée permettait d'évacuer un excès de sang afin de rétablir l'équilibre des fluides. L'expulsion des "humeurs peccantes" d'un sang altéré, soignait la plupart des maladies, apaisait les convulsions et les délires.
Les yeux
Il m'a jeté de la poudre aux yeux
J'y tiens comme à la prunelle de mes yeux
Cela m'a coûté les yeux de la tête
Il m'a trompé avec ses yeux de merlan frit
J'ai eu les yeux plus grands que le ventre
J'ai vu trop grand
Je suis enceinte jusqu'au yeux
Je n'avais d'yeux que pour elle
Pourtant cela me crevait les yeux
Il me sortait par les yeux
Je l'ai de suite dévoré des yeux
Je n'ai jamais eu le compas dans l'oeil
Chez les Egyptiens, Rê, le dieu soleil, était doué d'un oeil brûlant.
L'oeil inscrit dans un triangle est, à la fois, un symbole maçonnique et chrétien.
En tant que lumière, l'oeil est la conscience humaine qui regardait Caïn.
"Agni", qui désigne aussi le Bouddha, symbolise l'oeil divin qui voit tout.
Le soleil est également considéré comme l'oeil du monde.